L'histoire des hommes insectes



« Flor de Maria mendoza et José Medardo Romero medina forment un couple qui a travaillé dans les plantations de bananes dans les années soixante. Ils ont eu 4 enfants. Deux sont morts à la naissance. Un autre va bien (pour le moment), et la petite Ana Maria, de 11 ans, est ce que tragiquement ils appellent une Oniña de trapo. Elle présente des déficiences psychiques, elle ne peut pas parler, ni marcher, ni prendre des choses, et ses os sont fragiles. Elle doit prendre des médicaments pour calmer l’inflammation du foie et de la rate, ainsi que les fièvres, pneumonie, et diarrhées. Elle est assise dans un fauteuil roulant, regardant au loin, sans bouger, comme si elle n’avait rien. »

« Après mes fausses couches, dit Marilou, j'ai eu trois mauvaises grossesses, les enfants étaient mal formés, l'un d'eux est mort-né. Il a fallu me les enlever par césarienne. Mes amies sont comme moi, nous ne pouvons plus engendrer d'enfants sains. »

 

    «Il y a déjà eu beaucoup de morts ici, dit Paulo Martinez. Autant qu’en Irak. Mais personne ne dit rien sur ceux qui meurent ici. » Paulo a 77 ans. Il est originaire de Chinandega et il est arrivé à Managua le 2 mars après 12 jours d’une marche appelée la « marche sans retour ». Cela fait cinq mois qu’il dort dans un hamac, dans une champa (sorte de cabane) faite de plastiques noirs et de carton qu’il partage avec cinq compañeros. Assis, pendant qu’il finit sa soupe, il raconte qu’il a commencé à travailler à la plantation bananière Maria Elsa à 49 ans. Au cours des six ans qu’il a passé là-bas, il a du être transféré cinq fois en urgence à l’hôpital de Chinandega pour avoir été exposé aux produits chimiques. L’intoxication était traitée par un lavage d’estomac et du sérum. Depuis lors, Paulo n’a plus d’appétit. Il ne peut garder les aliments et il avoue qu’il n’a pas été facile de s’habituer à alimenter un estomac malade qui ne supporte même plus un morceau de viande.
   Paulo a consacré sa vie entière au travail agricole. Son père a aussi été paysan, de même que son grand-père. Ils semaient du maïs, du haricot, de la patate et du yucca. S’il restait quelque chose, ils le vendaient au marché. C’est dans les années 60 que les compagnies bananières sont arrivées et que les choses sont devenues plus difficiles. La demande croissante de bananes sur le marché international a stimulé la production, et a favorisé l’extension sans contrôle des plantations des transnationales, provoquant le déplacement des anciens propriétaires et déséquilibrant les modes de production et la vie des paysans. Les entreprises ont creusé des puits d’eau plus profonds et ont détourné le cours des rivières. « Certains villages se retrouvaient sans eau, ajoute Paulo. Il n’y avait pas de travail ni d’argent pour acheter à manger. Il ne restait qu’à vendre la terre. » Les compagnies ont offert du travail au nombre croissant de paysans déplacés et chômeurs. Beaucoup d’entre eux ont fini par travailler les mêmes terres qui avaient appartenu à leur famille.


   Saturnino Martinez, 62 ans, a travaillé sept ans à la plantation Paraiso. Ni son épouse ni ses sept enfants n’ont eu de contact direct avec les compagnies bananières, mais tous souffrent de quelque chose. « Quand ce poison était répandu, il atteignait tout le monde, dit Saturnino. On vivait là et on buvait l’eau, on se lavait, on lavait notre linge avec cette eau. » Son épouse souffre des reins. Ses enfants souffrent de migraines et son dernier fils est né avec la chair à vif [6], à cause du poison. « A partir de ses seize mois, il a commencé à avoir de la peau. Sa pauvre mère, elle était là avec ses langes tout plein de sang. Aujourd’hui, il a 22 ans, il reste des traces sur sa peau et les cheveux n’ont pas encore poussés sur sa tête ».


Retour à la page d'acceuil